Groupe d'Études Historiques
de Verdun-sur-le-Doubs
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Les trains du Verdunois : Histoire et patrimoine

Laurent Gourillon - Images de Saône-et-Loire n° 186
Extrait de "Trois Rivières" N°86 : les trains du Verdunois


Sommaire     De tout temps zone de passage à la confluence Saône-Doubs-Dheune, la région de Verdun-sur-le-Doubs attendait naturellement le chemin de fer. La ligne de Chalon à Dole la traverse enfin en 1871, après des polémiques sur son tracé s’éternisant un quart de siècle. Deux autres axes resserreront encore le maillage : la ligne Dijon/St-Amour (1883) qui franchit le Doubs à Navilly et la ligne Chagny/Auxonne (1887), voulue par les autorités militaires pour faciliter les opérations sur le front de l’Est, pourvue d’un embranchement sur Beaune à Saint-Loup-de-la-Salle. Sur les 23 communes du canton, 7 disposent d’une gare !

    Dès son ouverture, le train fait péricliter le flottage du bois du Jura et le chargement de bateaux des tuiles artisanales ou de céréales, piliers de l’économie de Verdun. Le chef-lieu du canton perd le tiers de ses habitants entre 1872 et 1900. En revanche, le nœud ferroviaire des lignes Chalon/Dole et Chagny/Auxonne permet à sa voisine, Allerey-sur-Saône, d’éviter l’exode rural grâce à l’installation de nombreux équipements ou de commerces. Pendant un demi-siècle, plus de 10 % des habitants de cette commune vivront du chemin de fer. Le train favorise les expéditions des produits agricoles de cette contrée fertile, tandis que les ruraux vont désormais à Chalon pour leurs affaires. Parallèlement, les beaunois ou les chalonnais viennent profiter des plaisirs de la Saône (et surtout de la Pôchouse verdunoise).

   Durant la Grande Guerre, cette forte présence ferroviaire est à l’origine de l’implantation du centre de ravitaillement en essences de Gergy et surtout de l’immense camp-hôpital américain d’Allerey en 1918-1919.







     L’essor automobile pénalise le train. Les pouvoirs publics en tirent les conséquences. Le plan de coordination pour le département de Saône-et-Loire, approuvé en 1938, ferme la ligne Chagny/Auxonne aux voyageurs. Sous l’occupation, le rôle stratégique du train se confirme avec la multiplication des sabotages par les équipes de maquisards (épaulés par les cheminots) pour ralentir les convois allemands. La reconstruction ne change rien : la ligne Chagny/Auxonne ferme définitivement en 1951, suivie par celle de Chalon/Dole en mai 1954 (seulement aux voyageurs). Au même moment, la ligne Dijon/St-Amour perd une large partie de son trafic au profit de la ligne PLM (Dijon/Lyon) qui vient d’être électrifiée. Une page de la modernisation d’un canton rural se tourne au grand dépit des élus locaux. Et la voiture accroît la désertification…


La ligne Chagny/Allerey/Seurre

    La ligne Chagny/Allerey/Seurre reste à l’abandon, même si elle est censée servir aux armées. On construit même un pont ferroviaire pour franchir la nouvelle autoroute A6 entre Demigny et Chaudenay. Aucun train n’y passera ! Sauf celui qui démontera les voies peu après…

    Le 26 juillet 1969, le ministère des Transports déclasse le tronçon Allerey/Seurre. Aussitôt, le conseiller général du canton de Seurre, Maurice Florentin, suggère de le transformer en voie routière. Aux confins des aires d’influence de Dijon, Beaune, Dole et Chalon, Seurre raffermirait sa place dans le val de Saône. Les axes non inondables sont si rares. Cette idée d’une route directe et insubmersible séduit, les travaux se restreignant enlever les structures ferroviaires.

    Un simple coup d’œil sur une carte routière montre les atouts de ce nouvel itinéraire entre Allerey (en fait Chalon) et Seurre :

- les communes du nord du canton de Verdun (Bragny, Écuelles, Palleau) facilitent leurs liens avec Chalon et Verdun (et surtout en période d’inondation) ;
- positionnement de Seurre au cœur d’un réseau routier dense qui peut accroître son potentiel économique et démographique ;
- ouverture d’un itinéraire supplémentaire entre Chalon et Dijon ; la RN 83 bis Chalon/Dole étant saturée. La nouvelle voie rapproche Chalon de la future autoroute A 36 Dijon/Mulhouse ;
- développement de l’aire chalonnaise vers le Nord-Est ;
- possibilité de dévier le tracé entre Allerey et Chalon pour éviter les agglomérations entre Allerey et Crissey.

    La dépose des voies survient peu après avec démolition des maisons des gardes-barrières, excentrées ou gênant les carrefours. La gare d’Écuelles est vendue et sa halle à marchandises utilisée par les services de l’Équipement. La route est livrée à la circulation en 1975.

    Ce nouvel axe remplit ses promesses. Cette route a vraisemblablement interrompu l’exode rural par la venue de familles « rurbaines » ou en facilitant le maintien au pays. Toutefois elle rend l’écoulement du trafic encore plus ardu dans les traverses d’Allerey, Gergy, Sassenay et Crissey. Après de longs palabres, une déviation de la RD 5 ouvre en 2004 contournant Sassenay et Crissey par la zone industrielle nord de Chalon.

    Une stèle commémorative s’implante vers 1980 sur la commune de Trugny. Elle comporte cette plaque : « Trugny Allerey / Route / due à l’initiative de / Maurice Florentin / conseiller général du canton / de Seurre 1950-1976 ». On surnomme aussi cet axe « la route des deux Maurice », en hommage à ses promoteurs Maurice Florentin et Maurice Duvernois, conseiller général de Verdun.

    Le tronçon Chagny/Allerey est enfin déclassé en en 1978 et la ligne démontée l’année après. Des élus suggèrent sa transformation en voie routière, selon l’exemple réussi de la partie Allerey/Seurre. Toutes les communes acceptent sauf Saint-Loup, faisant capoter du même coup le projet. Aujourd’hui, le tracé Chagny/Allerey reste visible même si les terres agricoles ou la forêt ont repris leurs droits. Récemment, des élus envisageaient de reconvertir cette section en « voie verte », la Saône-et-Loire étant pionnière d’un concept qui rencontre un engouement populaire. La vente des terrains, notamment à Saint-Loup-Géanges, a rendu le projet impossible.














La ligne Chalon/Dole

    Après la fermeture de la ligne aux voyageurs en 1954, la déviation de la RN 470 à Verdun par les deux voies du viaduc ferroviaire sur la Saône prend corps. En effet, depuis la Libération, les véhicules devaient emprunter une passerelle provisoire au hameau de Chauvort (Allerey), constamment en mauvais état. Une des deux voies du viaduc est donc bitumée pour le passage routier en 1957 avec un alternat de passage avec feux de signalisation. Les conseillers généraux successifs ont milité pour la mise à deux voies routières du viaduc de Chauvort, voire une voie combinant rail et route pour en finir avec les feux de signalisation. Une proposition jamais retenue, faute de moyens… La dernière tentative remonte en 2003 : le président du Conseil Général d’alors tranche en faveur d’un pont neuf mais les coupes budgétaires sont passées par là... Des travaux s’opèrent en ce printemps 2016 : la voie unique a encore de beaux jours devant elle…

    Le tronçon Verdun/Saint-Bonnet-en-Bresse/Tavaux ferme aux marchandises en juillet 1971 et celui entre Saint-Bonnet et Tavaux est déferré. Seules demeurent les sections Dole/Tavaux (électrifiée en 1991, pour la desserte de l’entreprise chimique Solvay) et Verdun/Chalon.

    En 1998, l’État déclasse la section Verdun/St-Bonnet, jusqu’alors voie stratégique. Maurice Duvernois, conseiller général du canton, sollicite en vain son exploitation par la coopérative agricole pour rejoindre l’Italie. Son utilisation aurait pu permettre la transformation routière du tronçon Chalon/Verdun.

    La fermeture du centre de ravitaillement en essences de Gergy en 2011 a réduit le transport. Pourtant, à Verdun, le transport céréalier progresse, justifiant le passage régulier de trains de 1 000 à 1 200 tonnes tirés par un locotracteur diesel. Le transport est lent puisque toutes les barrières des passages à niveau sont supprimées.

    Aujourd’hui, le tronçon Chalon/Verdun est médiocrement entretenu même si les pouvoirs publics ont confirmé son rôle structurant en 2012 : en été, les rails émergent à peine de la végétation. En revanche, entre Verdun et St-Bonnet, la ligne gît à l’abandon. Dans les bois de Toutenant, les arbres poussent entre les traverses. Aujourd’hui, le château d’eau d’Allerey, dont on ne sait que faire, reste le seul témoin d’une splendeur révolue. La municipalité a envisagé un temps de l'acquérir pour y établir un local culturel. Il appartient toujours à la SNCF, faute de mieux. Aujourd’hui, il reste l’un des derniers ouvrages de ce type encore muni de sa citerne caractéristique.












La modernisation de la ligne Dijon/Saint-Amour

     Achevée en 1952, l’électrification de la ligne PLM déplace presque tout le trafic de la voie bressane. Aussi, en 1955, la SNCF la déclasse-t-elle. Seuls des autorails assurent quelques dessertes. Le temps où l’on pouvait voir des trains prestigieux paraît révolu. L’avenir s’assombrit.

    Les travaux préparatoires du Ve plan (1966-1970) mettent en évidence la forte progression du transport ferroviaire (voyageurs et marchandises) pour les 20 ans à venir. On décide donc l’électrification de la ligne Dijon/St-Amour pour décongestionner l’axe Dijon-Lyon.

     Le chantier démarre en 1967. Il impose de nombreux travaux dont la modification des ponts, la signalisation et l’alimentation électrique, l’automatisation des passages à niveau. Le tronçon Bourg/Mervans s’achève le 20 mai 1969, suivi par la section Mervans/Dijon le 13 mai 1970.

    À la fin des années 1980, la SNCF installe des automates pour le compostage des billets afin de cesser toute activité à la gare de Navilly. Peu à peu, les arrêts seront supprimés, entraînant la démolition du bâtiment en 1997. Les terrains seront ensuite acquis par la commune pour établir une aire de jeux, tandis que la halle à marchandises se transforme en centre de secours.

    La circulation des Trains Express Régionaux (TER), gérés par la région Bourgogne depuis les lois de décentralisation de 1982, se réduit au profit des autobus. Ces mesures soulèvent la colère d’usagers bressans qui ont formé l’association « SOS TER de la Bresse ». 4 trains quotidiens relient encore la Bresse à Dijon.








Et la LGV ?

     En 2009-2011, les débats autour de la LGV « branche sud », destinée à désengorger les lignes TGV, avaient envisagé un fuseau près de Toutenant, à l’Est de Verdun, avant qu’une variante soit retenue plus à l’Est, parallèle à l’A 39. Certains plaident alors pour la réutilisation de l’existant. Ainsi, un internaute crée une page « ligne Gray-Chalon : une opportunité pour Rhin-Rhône »1. Dans ce document, son auteur défend le passage de la ligne LGV sur l’ancienne voie Seurre/Allerey avant d’emprunter la section Allerey/Chalon ! Selon lui, cette proposition aurait été pratique et économique, même si la ligne frôlait des habitations à Gergy… Le débat est clos depuis l’abandon de la LGV branche sud pour des raisons budgétaires.

     La fin du chemin de fer dans notre région ne paraît pas d’actualité. Qu’en sera-t-il demain ? La toponymie ferroviaire s’est résolument inscrite dans les communes riveraines. Faut-il considérer les infrastructures ferroviaires, même déclassées - puisque toutes les gares ou les maisons de gardes-barrières existantes ont été réhabilitées - comme un patrimoine local, au même titre que d’autres ? Ou, au contraire, faut-il oublier, faute de mieux, ce milieu ferroviaire qui a tant contribué à la modernisation rurale ?